Qui vive ? Le communisme !
Noël 2012 : Annonces
(fichier format pdf à télécharger : http://www.egalite68.fr/Qui-vive/Noel2012.pdf)
Annonce
1 : Enquête à Gaza (26 décembre – 1° janvier)................................................................ 2
Au programme….......................................................................................................................... 2
Orientations d’enquête................................................................................................................. 3
Annonce 2 : Séances Qui-vive trimestrielles au ciné 104 de Pantin en 2013.................................... 6
Présentation générale................................................................................................................... 6
Programmes provisoires............................................................................................................... 7
César doit mourir
(par les frères Taviani)........................................................................................ 8
Billet de Daniel Fischer................................................................................................................. 8
Petit complément.......................................................................................................................... 8
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Ce numéro exceptionnel du Qui-vive est consacré à deux annonces :
— l’annonce du tout prochain voyage à Gaza ; on trouvera ci-suit son programme général et mes intentions spécifiques d’enquête ;
— l’annonce d’une série trimestrielle de « séances Qui-vive » que je vais organiser en 2013 avec Rudolf Di Stefano, cinéaste, au ciné 104 de Pantin ; nous en présentons ici les grandes lignes.
Je profite par ailleurs de cet envoi collectif pour y ajouter un récent billet de Daniel Fischer consacré à l’excellent film des Frères Taviani : César doit mourir.
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Le voyage concerne une centaine de personnes (essentiellement des gens venus de France mais également un groupe significatif d’Égyptiens) qui sont officiellement attendus sur place.
Pourrons-nous effectivement entrer à Gaza par l’Égypte ? Pour le moment, les autorités égyptiennes nous déclarent leur accord, mais l’instabilité actuelle au Caire et dans la région du Sinaï laissent la place à bien des incertitudes – sans compter la possibilité que des bombardements israéliens sur les populations rétives viennent encore compliquer la situation…
Dans tous les cas, nous partons pour le Caire, et nous inventerons au fur et à mesure des circonstances, comme nous avons su le faire il y a trois ans…
Meeting-Concert à Sakiat El Sawy (quartier de Zamalek) avec la
participation, entre autres, de l’écrivain Alaa El Aswany, du poète Tamim El
Barghouti et du groupe musical Eskandarella
Départ en bus de la place Tahrir
Arrivée à Rafah
Arrivée à Gaza.
Visite de l’hôpital Al-Shifa Hospital / Remise des distractors et
médicaments que nous apportons / Discussion avec les Docteurs El Tater et Tarik
Omar
Visite de la ville de Gaza avec le Dr. Mohamed El Rantisi et Amir Hasan
Visite d’école / Remise des livres et fournitures scolaires que nous apportons.
Rencontre avec les étudiants gazaouis (notamment ceux qui étudient le
français à l’Université islamique) sous la direction de Amir Hassan
Visite de la ville et du camp de réfugiés de Khan Younes / Meeting avec
l’Union des Femmes Palestiennes de ce camp
Rencontre avec l’astrophysicien M. Suleiman Baraka (président de la chaire
d’astronomie de l’Unesco) / Observation du ciel avec ses télescopes
Meeting et déjeuner avec l’association EWASH (Emergency Water,
Sanitation and Hygiene group) / Présentation de la situation sanitaire et des
problèmes d’alimentation en eau consécutifs au blocus israélien.
Visite de l’école de musique de Gaza / Réception par Khamis Abu Shaban,
directeur de l’école / Présentation des élèves / Concert des enseignants (avec
la participation de François Nicolas, membre de la délégation et représentant
de l’association « Musiciens avec Gaza »).
Rencontre avec le footballeur Mahmoud Sarsak / Remise des tenues de sport
que nous apportons / Petit match de foot entre les Gazaouis et notre délégation
Réveillon sur la plage de Gaza
Départ de Gaza
Outre le plaisir que j’aurai à passer le réveillon du jour de l’an en compagnie des Gazaouis (quel meilleur endroit y a-t-il en ce monde pour se souhaiter fraternellement une bonne année 2013 ?), mes buts dans ce voyage sont doubles.
Il s’agit d’abord de rencontrer – enfin ! – des musiciens gazaouis afin de leur témoigner la solidarité des « Musiciens avec Gaza » (association, lancée à l’automne 2009 avec François Tusques, qui s’attache à organiser en Europe des « Galas pour Gaza » : http://www.egalite68.fr/musiciens) et préparer avec eux une future tournée musicale en France.
Comme indiqué plus haut, cette rencontre devrait avoir lieu le mercredi 30 décembre à l’école de musique de Gaza :
http://www.mosaicrooms.org/gaza-music-school
Pour le formuler de manière la plus ramassée possible, il s’agit également pour moi d’enquêter sur le point suivant : de quelle affirmation Gaza est-il aujourd’hui le porteur ?
Je suis en effet frappé de ce que la mobilisation actuelle « pour » Gaza se constitue avant tout comme une mobilisation « contre » : contre la politique criminelle et barbare de l’État d’Israël, contre la collusion de l’État français, contre la politique américaine, etc. Il va de soi qu’il convient de soutenir les Palestiniens en général et les Gazaouis plus spécifiquement contre tout ceci : leur emprisonnement dans des ghettos et bantoustans est intolérable.
Mais qu’en est-il d’une affirmation politique portée aujourd’hui par les Palestiniens comme elle a pu l’être par eux à la fin des années 60 ? Finalement, qu’est-ce que les Gazaouis affirment aujourd’hui qui soit susceptible d’intéresser les partisans d’une émancipation politique ?
Il ne s’agit pas bien sûr de les charger ce faisant de répondre à notre place aux questions politiques (nombreuses, complexes, affreusement obscures) de l’heure. Il ne s’agit donc nullement de se rendre là-bas sous l’hypothèse que, de cette prison à ciel ouvert, pourrait venir comme par miracle la lumière susceptible de nous orienter ici et maintenant, en France, en Europe ou plus largement encore. Il s’agit plus simplement d’aller enquêter sur place (autant qu’il me sera possible dans le cadre d’un groupe destiné à ne jamais se séparer en sorte d’éviter tout dérapage) pour comprendre les ressources subjectives de près de deux millions de personnes enfermées depuis 6 ans sur une bande de 40 km de long et 5 à 10 km de large.
Soutenir Gaza comme victime (ce qu’il est bien sûr) ne saurait nullement tenir lieu d’une réelle affirmation.
Je poserai qu’une réelle affirmation idéologico-politique doit aujourd’hui s’affirmer comme affirmation, c’est-à-dire prendre la forme redoublée de l’affirmation d’une affirmation. Je m’explique.
— Poser : « on peut résister, on peut ne pas céder, on peut se défendre… », c’est affirmer la possibilité d’une opposition, donc d’une négation.
— Poser : « on ne veut pas se rendre, quitter ce territoire, désespérer… » ou « on ne veut pas la prison et le ghetto… », c’est refuser (négation) une négation.
— Poser : « on ne veut pas la pax americana réservée aux Indiens », c’est refuser (négation) ce qui se présente comme une affirmation coloniale.
— La question devient alors : qu’en est-il aujourd’hui à Gaza, non de l’affirmation d’une négation, de la négation d’une affirmation, ou de la négation d’une négation mais bien de l’affirmation d’une affirmation ?
L’énoncé « Gaza veut la liberté » y pourvoie-t-il dans les conditions actuelles ?
Tout le point devient ici de comprendre ce que « liberté » peut exactement désigner en cette situation particulière. Et c’est à cela que je voudrais m’attacher, en me guidant en cette affaire sur les grandes lignes de ce que j’ai entrepris de penser comme « Esquisse d’une articulation communiste entre Égalité et libertés » :
http://www.egalite68.fr/Qui-vive/16.htm
Pour détailler un peu les orientations idéologiques de cette enquête politique, je poserai les deux points suivants.
En matière de liberté, il n’y a que des libertés plutôt que « La Liberté », des libertés à chaque fois produites singulièrement, des libertés qu’il faut penser moins comme des résultats stables que des états toujours provisoires d’un processus sans fin de libération ou d’émancipation.
Une liberté concrète ne saurait se concevoir comme absence extrinsèques de contraintes. C’est une édification intrinsèque qui « somme », agrège, accole, agglomère, intègre de nombreuses composantes initialement indépendantes ; c’est donc l’invention d’une discipline collective (à tout le moins collectivisant ses composantes intrinsèques) et de contraintes subjectivement assumées et donc bien tout le contraire d’une simple licence.
Cette collectivisation existe même dans le cas d’un individu qui se libère pour autant qu’il arrive à soumettre la diversité sans limites de ses facultés et envies à la discipline d’un désir construit et assumé, apte à canaliser, orienter et unifier en faisceau une partie de ses forces.
Une telle collectivisation est encore plus manifeste lorsqu’il s’agit explicitement d’une liberté collective et non plus individuelle : la liberté d’un corps collectif (celle du peuple de Gaza, celle de tel groupe de femmes gazaouies, celle de tel ensemble de musiciens, celle de telle organisation politique, celle de tel regroupement religieux…).
J’avais posé dans mon esquisse que l’important dans l’édification d’une liberté est ce sur quoi elle débouche, ce qu’elle peut seule produire, et que ceci prend en particulier la forme singulière d’une rétroaction sur le principe constituant de l’Égalité.
Il me semble que le nom même de ce type de rétroaction où une liberté donnée, constituée dans une situation précise, se déclare subjectivement partie prenante du principe général d’Égalité, est bien connu : c’est celui de fraternité.
La fraternité désigne en effet une modalité concrète et située de l’égalité entre acteurs d’une même liberté.
Ainsi, il y a bien sûr la grande Fraternité universelle de tous les êtres humains qui découle directement du principe universel de l’Égalité qui distribue également sur chacun les attributs du même. Mais il y a aussi telle ou telle fraternité, plus délimitée et plus concrète, qui est l’effet en retour d’une liberté constituée et qui devient la forme pour elle de l’Égalité (et non plus la forme en soi de ce principe).
L’Égalité en soi devient une égalité pour soi déclarée par une liberté donnée sous le nom de fraternité.
Cette question d’une double fraternité (la Fraternité universelle constituante / les fraternités situées constituées) prend traditionnellement un relief spécifique en contexte idéologique marqué par la religion.
Pour prendre l’exemple de la religion chrétienne, elle fut à la fois porteuse d’une grande Fraternité universelle sous le signe universellement projeté de « fils de Dieu » (tout homme s’est vu déclarer « fils de Dieu ») et d’une fraternité plus spécifiée qui prenait cette fois les contours plus limités de l’Église (et ce, sans limiter celle-ci aux frontières de l’institution officielle) : d’un côté la Fraternité universelle des êtres humains pris tout comme fils de Dieu ; d’un autre côté, la fraternité plus restreinte et plus endogène des chrétiens entre eux.
Ainsi une mesure d’un processus de libération donné me semble à chercher dans sa manière propre de repenser pour son propre compte l’Égalité principielle de départ et d’y articuler une égalité pour soi sous le nom d’une fraternité spécifique.
Qui n’a connu dans sa propre histoire militante ce moment où l’inventivité à la fois laborieuse et enthousiasmante d’une séquence politique donnée conduit d’une part à se ressentir frères de ceux qui ont partagé cette intensité vécue en situation et d’autre part à se confronter à la difficile question du rapport entre cette fraternité restreinte et la grande Fraternité qui met en jeu ce qu’on appelait jadis « les larges masses » ? D’un côté la fraternité militante, de l’autre la Fraternité communiste, les deux désignant des articulations entre Égalité et libertés mais qui opèrent en deux sens inverses l’une de l’autre…
Cette question prend un tour idéologique tout à fait singulier à Gaza car elle semble aujourd’hui explicitement thématisée sous des signifiants musulmans. En effet, le Hamas, comme l’on sait, s’est déclaré dès sa naissance en 1987 comme une aile palestinienne des « Frères musulmans ». Ainsi le signifiant « frère » se trouve bien au cœur d’un certain nombre de subjectivités gazaouies.
La langue arabe est ici d’un grand intérêt.
En
effet le même mot frère au singulier (‘a-Xun أَخٌ)
se trouve doté de deux formes différentes de pluriel selon qu’il s’agit de
frères par le sang (‘iX-wâh إِخْـوَةٌ) ou de frères par
l’affection ou la doctrine (‘iX-wân إِخْـوَانٌ).
Ceci conduit à deux mots
légèrement différents pour fraternité : celle du sang (‘a-Xa-wî-yah
أَخَـوِيَّـةٌ) et celle de la doctrine (‘iX-wâ-nî-yah إِخْـوَانِيَّـةٌ).
Celle qui se trouve mobilisée
dans la dénomination arabe de « Frères musulmans » est bien sûr la
seconde : elle précise qu’il s’agit bien là de la fraternité entre
coreligionnaires.
اَلْإِخْـوَانُ ٱلْـمُسْـلِـمُونُ
al-‘iX-wâ-nu/l-mus-li-mûn
Notre fraternité rétroactive
d’une liberté sur le principe Égalité relève bien sûr de la seconde nomination
arabe – fraternité non pas objectivement héritée par la nature mais
subjectivement édifiée par une liberté donnée.
C’est autour de ces idées, certes bien trop générales mais à tout le moins a minima orientantes, que je compte donc enquêter sur place, avec les moyens très limités d’enquête qui seront les miens : à tout le moins des yeux et oreilles grand-ouverts !
Bien sûr, je tâcherai ensuite d’en rendre compte, et ce de deux manières :
— par un compte rendu écrit dans un Qui-vive spécial à mon retour en janvier ;
— par un petit « documentaire » qui sera projeté dans le cadre de la première des séances Qui-vive dont vous trouverez ci-suit l’annonce.
Séances Qui-vive du jeudi soir au Ciné 104 de Pantin
(organisées par Rudolf Di Stéfano et François Nicolas)
L’année 2013 des quatre jeudis : 28 février, 30 mai, 26 septembre, 19 décembre
19h30 - 22h30
104, avenue Jean Lolive – Pantin - M° Église de Pantin (ligne 5)
Entrées : 5€ [1]
Dans un cinéma traditionnel, une séance « du samedi soir » était rythmée par
— des publicités qui rendaient public ce qui avait été réalisé et se trouvait désormais accessible ;
— des actualités qui présentaient ce qui venait de se passer dans le moment présent ;
— des bandes-annonces qui prévenaient de ce qui allait arriver dans un proche avenir.
Ainsi publicités, actualités et bandes-annonces prenaient-elles en charge respectivement le passé, le présent et le futur de ce dont l’existence était avérée dans le monde tel qu’il était. Toutes trois composaient, ce faisant, la figure d’un moment actuel, doté de sa propre extension temporelle.
Les séances Qui-vive reprendront ce dispositif en le renversant : elles substitueront, aux existences avérées dans le monde tel qu’il était, des possibles encore inexistants dans le monde tel qu’il est. Il s’agira ainsi de rendre public, de présenter et d’annoncer ces possibles qui s’affrontent aujourd’hui aux impossibles, avérés ou supposés tels (car décrétés interdits par notre monde). Ces séances voudraient en particulier convaincre que le possible jailli d’une brèche faite dans l’impossible (plutôt que trouvé inopinément) demeure pour longtemps une promesse qui ne s’épuise pas dans ses premiers résultats puisque, étant la création d’un gisement (plutôt que la découverte d’un joyau égaré), toute réalisation en conserve une aura de larges possibilités.
Au total, il s’agira de faire propagande (artistique et militante) pour la possibilité de composer collectivement un nouveau moment de la pensée émancipatrice :
« Il
n’y a pas que ce qu’il y a ! »
Ces séances se dérouleront en deux parties.
En première partie
— des publicités manifesteront différents projets (de cinéastes, musiciens, poètes, danseurs, chercheurs ou militants), autant dire des idées dont l’effectuation n’est pas encore attestée ;
— des actualités présenteront les inexistants agissant souterrainement ce monde, soit des gens (qui affirment), des idées (qui émancipent) et des œuvres (qui agrandissent), autant d’acteurs qui, quoiqu’étant bien au centre de ce monde, y restent invisibles et inapparents ;
— des annonces (faites à l’écran ou à la scène) attireront l’attention sur ce qui, déjà arrivé, parfois depuis longtemps, reste une ressource, enfouie dans les replis du monde et susceptible de revenir trouer notre présent vers un futur inattendu.
Publicité sur un projet (futur), actualité d’un inexistant (présent), annonce d’un enfoui (passé) déploieront ainsi trois manières de nous tenir, individuellement et collectivement, sur le qui-vive des possibles que ce monde nous barre (les seuls possibles à dire vrai qui méritent de risquer une sortie hors de la survie).
Après un entracte, la deuxième partie présentera, en lieu et place du « grand film » dans « le cinéma du samedi soir », une contribution, personnelle ou collective, d’un seul tenant : une pièce de théâtre, un concert, une conférence, une chorégraphie ou un film.
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Ciné 104, avenue Jean Lolive – Pantin
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Sur scène
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Sur l’écran
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Dans la salle
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Musique
28 février
2013 |
Gens qui affirment |
Idées qui émancipent |
Œuvres qui agrandissent |
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Gens d’ici |
Gens d’ailleurs |
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Annonces (passé) |
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Musique sur écran
noir Dojo Cinéma |
Actualités (présent) |
Jeunes des cités |
Gaza |
Billet |
L’art du
cinéma Al Dante |
Publicités (futur) |
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|
Égalité ‘68 : George Oppen |
Même formule…
En seconde partie, 20° anniversaire de la
revue L’art du cinéma
En seconde partie, concert des Musiciens
avec Gaza
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16.12.12 Cesare deve morire (frères Taviani)
Il y a, comme
dans le dernier film de Resnais, un dispositif conçu pour que quelque chose le
fasse éclater, le déborde. L’aspect « dispositif », c’est que les
détenus interprètent chacun un rôle du « Jules César » de Shakespeare,
mais aussi continuent de jouer « hors texte » pour la caméra pendant
les répétitions qui sont filmées en tant que telles, et, un pas de plus,
mettent en scène l’irruption explosive de leur propre passé à la faveur
d’interstices inattendus dans le texte. On peut inclure dans le
« dispositif », la prison elle-même utilisée comme scénographie à
part entière sous le prétexte cousu de fil blanc de travaux nécessaires dans la
salle de théâtre. Comme dans le Kiarostami de la grande époque, le spectateur
n’est pas invité à conclure que tout cela n’est que « fake ». car
l’écran rend visible une extraordinaire performance réalisée par des hommes
littéralement touchés par l’art. Il y a ainsi deux composantes, passives et
actives si on veut, qu’il est impossible de démêler : à la fois une
habitation par le texte shakespearien comme on ne l’a jamais vu (car il est
plus que probable que les « acteurs » ont à titre personnel eu
l’occasion dans leur propre passé de trahir des amis, d’être roulés par d’apparents
alliés, voire de tuer – et notamment les « hommes honorables » de la
tirade d’Antoine ne peuvent pas ne pas faire écho à « l’honorable
société » dont beaucoup ont été membres) et une illustration
exceptionnelle de la phrase de Marlow dans « Cœur des
ténèbres » : « l’homme est capable de tout, car il contient
tout » (version moderne, si on veut, du chœur d’Antigone) ; d’un
côté, une rencontre radicalement transformatrice (cf. le magnifique dernier
plan de « Cassius » rentré dans sa cellule, là où un film
conventionnel aurait conclu sur la rentrée des détenus dans leur cellule filmée
depuis le couloir, pour signifier que « la fête est terminée ») et
d’un autre côté l’infinie polyvalence de l’homme dont la mise en abyme
humoristique dans le film est la scène du casting où il est demandé à chaque
postulant de réciter un texte successivement de façon éplorée puis furieuse.
S’y surajoute, également de façon indémêlable, la dimension collective qui nous
donne la vision fabuleuse d’un groupe de détenus explosant de joie aux cris de
« vive la liberté, à bas la tyrannie », ou celle de la méditation de
« Brutus » sur l’idée collective, ici nommée « Rome », et à
un autre moment par dérision « Naples », toutes deux « senza
vergogna », à un moment où le nom actuel de leur pays est dans une
traversée particulièrement obscure.
[ƒNi] Un
(autre) point m’a frappé : la manière dont ce film renoue magistralement avec
le cinéma italien de l’après-guerre, singulièrement celui de Rossellini et
Pasolini. Ce n’est pas tant par l’usage du noir et blanc (qui pourrait
seulement faire rétro) mais c’est surtout par l’attention portée et transmise aux visages et aux
corps d’hommes du peuple (fussent-ils en l’occurrence ceux de gens qui se sont
à un moment de leur vie perdus dans le nihilisme mafieux), une attention qui
distribue la grandeur sur chacun.
Cette
quasi-résurrection d’un cinéma qui nous a tous beaucoup marqués, je pense,
opère comme une leçon au présent : les ressources subjectives à notre
disposition sont bien là, pour peu que, comme dans ce film, on sache tresser
une profondeur historique qui troue en un point le semblant de notre actualité.
Dans ce film, l’infini potentiel du point où se fait la percée concentre quatre
strates historiques : celle de la Rome républicaine décadente, celle de
Shakespeare, celle du cinéma italien de l’après-guerre et celle de l’Italie de
maintenant. D’où la concentration d’une puissance invraisemblable apte à ouvrir
un présent, celui que fixe la dernière réplique (que j’ai entendue, pour ma part,
comme une conquête, non comme un désastre) : « Depuis que j’ai connu
l’art, ma cellule est devenue une prison. ».
*